Greg Frite compile sur disque ses « Gros Mots », un dictionnaire d’argot en version rap qui s’invite chaque semaine dans le « Before » sur Canal+.
On connaît Greg Frite pour les marques qu'il a laissées dans l'histoire du rap français avec son groupe Triptik ; les tournées, les cheveux qui bougent et une poignée de disques. On le connaît aussi pour Les Gros Mots, ce dictionnaire ernatif qu'il rappe chaque semaine sur Canal+, mettant en rimes - et en rires - le "swagg", le "bling-bling" ou l'étonnant "zlataner". Mais en réalité, Greg a plusieurs vies, comme autant d'allers-retours entre Paris et ailleurs. Installé en Bourgogne depuis une dizaine d'années, l'ex-Parisien y retape une baraque en testant les millésimes locaux, repense aux tournées de Triptik, puis revend la baraque et s'installe à Dijon.
A l'occasion, il fait les poches de sa gamine pour voir si elle fume déjà du shit au lycée - comme il l'insinue dans l'excellent Papa, dernier titre en date de Triptik -, puis l'emmène soigner son canasson, jonglant avec les horaires de son astronaute en herbe de fiston qui, lui, veut aller regarder les étoiles : "La vie avance, les priorités changent. Les bases communistes du lycée ou de la fac, où le groupe prime sur l'individu, changent avec le temps. J'ai une femme, des enfants, et j'adore ça... Même si je crois qu'il y a certaines choses qui ne bougent pas..."

"Des mots du quotidien, mais que personne n'a vraiment définis"
Ces choses, ce sont les mots, la musique, imputrescible bande originale de cette vie qui avance. Quand vient la nuit, l'insomniaque écrit, mordille son argot et met en bouche les définitions baroques de ses Gros Mots, un verbiage que les dicos de l'Académie n'avaleront que dans dix ans. "Ce sont des mots du quotidien, mais personne ne les a vraiment définis. Personne n'a défini le mot 'swag', et pourtant tout le monde l'emploie. Parfois, ces mots sont même employés dans un sens différent selon les gens, selon les endroits. C'est fascinant."

Greg insiste sur sa passion des mots, se repaît de propos politiques - ceux de Michel Rocard, notamment, "un maître, d'une clarté sidérante sur des sujets extrêmement complexes" -, des bastons verbales de fin de repas - "le patois, les formules singulières... L'argot gitan, aussi : pillave, bédave, chourave..." Quels sont les derniers mots qu'il a arrachés au fil ? : "Scroller', 'circonlocution', 'en mode'... Le langage parlé vient souvent des marges : 'opé', 'nique ta mère', ça vient des rappeurs, mais tout le monde sait ce que c'est et l'utilise."

"Le langage dit beaucoup d'une époque"
Pour lui, il y a quelque chose derrière sa pastille télévisée : "C'est un témoignage car le langage dit beaucoup d'une époque. C'est la raison pour laquelle je ne me limite pas à l'argot urbain. J'ai des mots comme 'selfie' ou 'burn-out', des choses très répandues, très actuelles."
En-dessous des mots, il y a la musique. Le projet Train-Train, mené avec DJ Pone (Birdy Nam Nam, Svinkels, Kavinsky...), avorté l'an dernier pour cause de surmenage - "Le rythme hebdomadaire des Gros Mots est éreintant" -, devrait voir le jour si la SNCF continue d'assurer la liaison Dijon-Paris. Même si, en terminant son verre de blanc, Greg est déjà ailleurs : "J'ai mis longtemps à faire comprendre à mon fils que pour être astronaute il faut d'abord être pilote de chasse, qu'il faut donc faire des maths, éventuellement faire l'armée, puis apprendre à piloter, etc. On va déjà se débrouiller pour qu'il passe un brevet de pilote civil, puis on fera en sorte qu'il y arrive, ou au moins qu'il s'épanouisse." "Schooler", "épanouisser" ou "paterner", c'est peut-être ça les prochains Gros Mots de Greg.
Les Gros Mots de Greg Frite (Believe) Le Before du Grand Journal du lundi au vendredi, 18h05, Canal+
Hervé KINIOKA